Ça s'est passé comme ça

 

 

David, j’ai revu ton ami. Un peu par hasard. Pas complètement. J’ai reconnu son sourire, cela faisait longtemps. Son regard, sa voix, je cherchais des souvenirs, des bribes de passé rejaillissant, des moments déjà partagés et quelques sourires encore. Des sourires. Un apaisement. 

 L’inconnu surgit, je ne le connais pas et pourtant c’est bien lui. Nous nous sommes rencontrés chez toi, tu nous as présenté et puis. Et puis le temps, les chemins errants qui ne se croisent pas, jamais, alors la pensée cherche et retrouve et envoie une lettre, quelques mots que l’autre entend. Un jour. Plus tard. Longtemps. 

 Je l’ai revu et nous avons esquissé nos vies de façon désinvolte autour d’un verre d’alcool, enivrant nos maux enfouis et les faisant taire pour une fois. A ce moment là je ne pensais à rien je crois, de particulier en tout cas. Nous faisions connaissance, reconnaissance en l’autre de petits morceaux de soi. J’arpentais ses regards comme de timides ruelles noyées de souvenances cruelles, de celles qu’on n’oublie pas. Je l’écoutais parler et sa voix résonnait, son rire aussi parfois. Est-ce qu’il y a de la place ? A l’intérieur de ce crâne, de ce cœur, de son âme. Au fond, au bord, quelque part. Même une toute petite place ?
Rapidement nos bouches se rencontrent et nos mains et nos peaux. Les jeux du corps, une infinie tendresse, un semi abandon. Un presque calme étrange. Pas de palpitations. Le cœur dort encore et personne ne vient l’arracher, l’extraire, le piétiner ou le baiser. Personne ne crie à l’intérieur ni de douleur, ni de bonheur pourtant. Tout est paisible et lent. La caresse. Les caresses, longues. Les langues et les lèvres chaudes. Le souffle et le répit. Les heures s’égrainent et le temps court sans nous, sans bruit. Une trêve. Un instant. Le monde s’arrête de vaciller et se fige. Et dans mon dos deux bras se croisent, m’enveloppent, m’apaisent. Je suis bien. Au creux, enfouie, à l’intérieur d’un nid composé de douceurs, suaves et sucrées, d’odeurs mélangées. Sans regarder vers l’amour qui dévaste tout. Surpuissant. Total. Loin de tout ça. Juste un soleil, une bulle de chaleur, un bien-être certain. Loin du désir aussi. Loin de tout ça. Un contentement, un contentement simple et gai. Un éveil.  J’ai revu ton ami parce que j’avais envie, de lui, de ses bras tendres, de sa douceur envoûtante, de son extase de la vie, et que je marchais dans les rues le sourire aux lèvres l’existence me semblait douce soudain et possible j’ai fait un rêve. Yeux dans les yeux de dire je t’aime. Pas un je t’aime tonitruant, retentissant, extrême, non. Un tout petit je t’aime, que l’on dit du bout du cœur à peine hésitant. Ce je t’aime là on ne peut pas l’entendre, le comprendre, puisqu’il n’existe pas vraiment. Une utopie du bout du monde, un presque non-dit, et il est si petit qu’il ne promet rien. Les balbutiements d’une romance. Je t’aime de rien. Silence. Et les larmes cessent de couler. Les choses se bouleversent lentement, elles se meuvent, elles se changent. De la lumière au-dessus, un rire le matin, des espoirs dans cette transformation de l’être. Le néant n’y peut rien. La joie l’avale, se moque, il me fait du bien.

 Le voir encore. Une évidence. Ma peau l’appelle est-ce qu’il entend ? Il se tait, je ne parle pas. Nous continuons de vivre. On s’accompagne de temps en temps. Je ne pense pas, ma tête est vide, petit à petit il s’installe et l'emplie par fragments. Une sorte de bonheur naissant. Et tressaillant de plaisirs infimes et colorés, le désir frappe à petits coups tremblant derrière cette porte fermée. Un univers qui ne m’est pas permis. Un lieu interdit. D’intimes secrets gardent la caverne, celle de l’autre qu’on ne pénètre pas. 

 Se rejoindre complètement, se posséder presque, s'unir intimement, cela n’est pas possible. Tant pis pour le moment. On se mélange autrement, dans la superficie peut-être, insuffisant. L’embrasser toujours, l’entourer mais ne plus prendre et ne plus savoir quoi donner. Ne plus avancer. Fantomatique, perfide et persistante sa mémoire le hante et moi je ne suis rien dans le flot de ses réminiscences. Je n’existe plus, je n’existe pas. L’amour, soit. Il ne m’aime pas assez pour le faire et moi je dois le faire pour pouvoir l’aimer. Engagements trop douloureux, dans les deux sens et les sens en exergue tous les deux qui pourraient faire du mal mais qui font bien, beau, bon, pas trop. Pas assez. Je ne suis pas voulue, désirée. L’explication, la colère sourde silencieuse. Et de ne pas partager, de le savoir, de l’accepter et de fermer les yeux. Je ne peux pas dormir. Je ne peux pas m’endormir, je ne veux pas m’endormir. J’ai soif, soif d’absolu, de magnificence, j’ai faim de l’autre, de la vie, de jouissance. Et je pars je m’en vais, sans fracas parce qu’il ne veut pas. Venir avec moi. Essayer de croire. S'oublier ensemble. 

 La porte n’a pas claqué. Pas même un éclat de voix. Presque rien. Une respiration. Celle de l’autre que l’on ne sentira plus contre soi, que l’on n’épousera pas. On ne cherche plus le rythme, le tempo n’existe pas. Plus. Jamais plus. L’harmonie s’arrête là. 

 Et maintenant il me manque. Les larmes sont revenues. La grisaille aussi permanente. La tourmente, je sens le souffle de vent qui l’emporte loin de moi comme un voilier qu’on ne peut plus atteindre qui file vers l’infini. La mer est grise. Elle est triste elle aussi. 

 

 Vendredi 4 février 2005

 

 

Muriel Roland Darcourt

Lettre à David - Ça s'est passé comme ça 

Paris

Tag(s) : #Lettres

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