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Ah te voilà. Cela fait un moment que je t’attends. Huit cent ans pour être précis. Tu m’avais dit que tu viendrais par ici, voir ce que je suis devenu, depuis tout ce temps. Tu te souviens ? Quand j’étais haut et fort. Que je gardais le château fort. Toutes ces guerres, que l’on a fait naguère ensemble, le sol qui tremble sous le pas des chevaux. Ces archères, le puits de lumière, les corbeaux. Tout a disparu. Mais tu pourrais les voir encore, si tu fermais les yeux un instant, que tu remontais le temps, en pensée. Tu n’as pas idée à quel point cela me fait plaisir de te revoir. Tu n’as plus ton armure, je ne suis plus qu’un mur, l’homme est bien dérisoire de croire qu’il défendra son territoire à jamais. Il est tombé aux mains du temps. Le plus grand ennemi, finalement. Il ronge mes pierres à petit feu, un jour viendra où l’on dira adieu à tout ce qu’il reste. Reste un moment. Ouvre une brèche, passe tes mains sur la bretèche, témoin de mon pouvoir d’avant. Je te défendais, c’est à ton tour de me défendre, contre les méfaits de la pluie, de la verdure, des passants et du vent. De l’oubli. Depuis la tour qui me fait face, qui menace de s’écrouler à tout instant. Le pont-dormant sommeille à l’infini, me préservant des visites impromptues, des assauts qui me tuent de ces promeneurs sans visages qui ne savent même pas qui je suis. Un mur à l’abandon. Qui demande pardon d’être encore debout quand d’autres sont à terre. De tenir bon, durant des millénaires, pour affirmer que de tous les adversaires, c’est bien la vie la plus grande des meurtrières.

 

16 Novembre 2011

 

 

Muriel Roland Darcourt

Monologue du mur en ruine

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Comment visiter une ruine ?

Tag(s) : #Monologues

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