Mon Frère (Le Costume)

(Scénario de court métrage)

 

 

 

1. Bureau des allocations. Intérieur jour.

Marc est assis sur une chaise, devant un bureau. Il feuillette nerveusement une brochure. C'est un homme de trente-cinq ans, vêtu d'une cravate et d'un complet gris un peu élimé.
Une femme entre dans la salle et vient s'asseoir derrière le bureau. Marc lève sur elle un regard interrogateur. La femme lui renvoie un sourire crispé.

LA FEMME
Je suis désolée. On va devoir recommencer.

MARC
Comment ça...

LA FEMME
On va reprendre votre dossier depuis le début. Alors, nom, âge, profession...

Marc la regarde, interdit, quelques secondes puis il rougit de colère.

MARC
Vous vous foutez de ma gueule ou quoi ?

LA FEMME (sur la défensive)
Ecoutez Monsieur votre dossier a été égaré et...

MARC (criant)
C'est la troisième fois !

LA FEMME
...Nous avons eu quelques problèmes avec l'ordinateur...

MARC se lève d'un bond.

MARC
Mais j'en ai rien à foutre !

Il se tient debout, les deux mains posées sur le bureau. Il regarde la femme avec des yeux révulsés.

MARC
Ça fait trois mois que ça dure votre petite plaisanterie... Comment je mange moi ? Et qui va payer mon loyer...

LA FEMME
Je comprends bien monsieur...

MARC marche de long en large à travers la pièce.

MARC
Vous comprenez quoi ? ... Qu'il vous faut trois mois pour compléter un dossier de  RSA ?

LA FEMME (timidement)
...Il a été égaré...

MARC
...Vous n'avez qu'à ranger vos affaires... Regardez-moi ce bordel !

LA FEMME pince les lèvres.

LA FEMME
...C'est ma collègue qui s'occupe de ça d'habitude et...

MARC
Alors appelez-la...

LA FEMME
...Elle est en congé maladie...

MARC
...Et elle a emporté mon dossier pour travailler à la maison, c'est ça ?

LA FEMME ne répond rien.

MARC
Je vous préviens vous avez intérêt à le retrouver sinon vous allez entendre parler de moi !

D'énervement, MARC frappe la porte avec le poing et regarde la FEMME avec insistance. Celle-ci hoche la tête.

MARC tente de se calmer et passe une main sur son visage plein de sueur.
Il se retourne vers la femme et ravale les mots qu'il allait prononcer. Puis, il empoigne la poignée de la porte et sort du bureau en faisant claquer la porte derrière lui.

Une autre FEMME passe la tête au-dessus de la cloison de séparation.

L'AUTRE FEMME
Je sais pas ce qu'ils ont tous en ce moment... Tout ça pour un dossier... c'est quand - même pas un drame !




2. Appartement Marc. Intérieur jour.

Marc entre chez lui. Il tient son courrier à la main : quelques factures et beaucoup de prospectus. Il jette le tout sur la table basse.

L'appartement est une pièce unique dans lequel sont disposés un canapé, une étagère vide et de gros cartons empilés les uns sur les autres dans un coin.

Marc ouvre son réfrigérateur vide hormis quelques yaourts sur la première étagère. MARC le contemple quelques instants.

MARC soupirant
...Alors fraise ou banane ?

Il tend le bras et en prend un au hasard.
Marc se laisse tomber sur le canapé. Il contemple son yaourt posé devant lui sur la table basse.

 

 

3. Maison Alain. Jardin. Extérieur jour.

MARC pousse la grille du jardin. Deux jeunes garçons de huit et douze ans se battent pour la balançoire.

MARC
Oh oh... On se calme... Chacun son tour...




4. Maison Alain. Salon. Intérieur Jour.

LUCIE arrange les rideaux d'une fenêtre.

LUCIE
...Voilà ton frère...

Elle parle à son mari, ALAIN un homme d'une quarantaine d'années, plongé dans la lecture d'un magazine. ALAIN répond par une onomatopée.

MARC est accueilli à la porte par une employée de maison. Elle introduit MARC dans le salon.




5. Maison Alain. Salon. Intérieur soir.

Toute la famille est réunie pour le dîner.
Les deux enfants quittent la table pour aller jouer.
L’employée de maison débarrasse les restes du repas.

LUCIE
...Alors, ce nouvel appartement ?

MARC reprenant un chocolat.
...Spacieux...

LUCIE
Ah c'est bien ça... parce que l'autre c'était un placard ! T'as très bien fait de partir. C'est vrai, on a besoin d'espace pour vivre après tout on n’est pas des animaux...

MARC ne répond pas et regarde le chat, confortablement installé sur un coussin du fauteuil, se chauffant le poil grâce au feu de la grande cheminée.

MARC se lève de table, pousse le chat et prend place dans le fauteuil laissé vacant par la bête.

LUCIE
Pas là voyons, c'est le fauteuil du chat ! Prend plutôt celui là...

ALAIN se lève et s'installe dans le fauteuil en question.

LUCIE
Tu vas avoir des poils partout sur ton costume.

ALAIN
Peut-être que comme ça il va en changer !
Non, c'est vrai, je sais bien que tu n'as pas d'argent mais quand - même, tu pourrais faire un effort...

MARC s'époussette et d'un geste délicat remonte le pli de son pantalon et pose une jambe sur l'autre. Il regarde son frère.

MARC
Alors ?

ALAIN
C'est encore cette histoire... (soupir) C'est d'accord mais c'est la dernière fois.
Je veux bien que tu laves ma voiture mais je te signale que je paye déjà quelqu'un pour le faire.
Tu ne voudrais quand-même pas prendre le travail de quelqu'un d'autre !




6. Salle d'attente d’une entreprise. Intérieur jour.

Marc est assis dans une salle d'attente. Il tient dans ses mains un CV qu’il relit.

Un homme entre. Il porte un costume un peu avachi.

L’HOMME
C’est bien ici l’annonce 56036C ?

MARC hoche la tête.
L’HOMME lit un papier qu’il tient entre ses mains.

L’HOMME
« Tenue correcte exigée », vous pensez que  j’ai une chance ?

MARC regarde le costume de l’HOMME puis le sien. MARC secoue la tête négativement.

Un  deuxième homme entre. Il porte un complet bien coupé.

L’HOMME 2
« l’annonce 56036C, tenue correcte exigée… »

MARC
C’est bien ici oui.

MARC époussette son costume et se redresse sur sa chaise.

Un troisième HOMME arrive dans un complet bien coupé.

MARC s'enfonce un peu plus sur sa chaise.

Un quatrième HOMME arrive en costume de marque.

MARC se lève et marche à reculons vers la porte.

MARC à l’HOMME 4
C’est bon, vous avez le poste. Vous êtes embauchés !

MARC sort de la salle.




7. Maison Alain. Jardin. Extérieur jour.

Marc termine de passer le chiffon sur une voiture de grande marque.
Il se recule et regarde, alignées, les trois voitures rutilantes d'un air satisfait.

Derrière lui, les cris des deux enfants qui se disputent, le font se retourner.
Les deux frères sont assis sur la même balancelle, l’un se débattant pour faire tomber l'autre.




8. Maison Alain. Jardin. Extérieur jour.

ALAIN sort sur le perron et jette un œil autour de lui.

MARC est près de la balançoire en train d'installer une balancelle à côté de l'autre: un morceau de planche tenue par deux cordes.

ALAIN
Eh! Je te paye pour nettoyer les voitures, pas pour t'occuper des enfants!

MARC se rapproche de lui.

ALAIN replace le col de la veste de MARC, tachée de cambouis. Il a pour son frère un regard méprisant.
MARC époussette son costume en le regardant bien en face.

ALAIN empoigne la portière de sa voiture. MARC se précipite pour lui ouvrir la porte. ALAIN monte à l'intérieur après avoir inspecté la carrosserie d'un air suspicieux.

MARC crache sur la vitre à hauteur du visage d'Alain et essuie délicatement avec le chiffon comme pour ôter une tâche tenace.

ALAIN sort la voiture de l'allée. MARC s'incline sur son passage en secouant le chiffon pour lui souhaiter bonne route. ALAIN ne lui jette pas un regard.

Au loin, les deux garçons se battent pour être sur la balancelle que MARC vient d'installer.




9. Bureau des allocations. Intérieur jour.

MARC se lève et a l'air satisfait. Il tient une feuille à la main.

LA FEMME
...J'ai pensé qu'une petite avance vous arrangerait...

MARC va vers elle et lui tient la tête entre les deux mains. Il fait claquer un baiser sur chacune de ses joues.

MARC
Vous êtes merveilleuse!

LA FEMME rougissante se dégage un peu confuse.

MARC exécute un pas de danse puis sort de la salle en levant un chapeau imaginaire.

L'AUTRE femme passe sa tête au-dessus de la cloison.

L'AUTRE FEMME
...Tu lui as tapé dans l'œil, c'est sûr...




10. Rue commerçante. Extérieur jour.

MARC, les yeux rivés sur la feuille la relie pour la énième fois. Il marche dans la rue sans s'occuper de ce qui l'entoure. Il bouscule une DAME bien habillée. Il relève la tête vers elle et lui sourit. La femme le regarde des pieds à la tête et s'en va l'air dédaigneux. Il la regarde s'éloigner.

MARC lève la tête en direction d'une vitrine. Il se rapproche.
Des costumes sont disposés sur des mannequins, les prix affichés sur des petites étiquettes.
MARC jette un œil sur la feuille, puis sur les prix, puis de nouveau sur la feuille.

MARC reste pensif devant la vitrine du magasin.




11. Magasin. Intérieur jour.

MARC pousse la porte du magasin. UN VENDEUR vient à sa rencontre. C’est un homme à l’allure distinguée, de petite taille et dégarni.

MARC
Je viens heu...Pour un costume.

LE VENDEUR
Mais bien sûr...Quel genre de costume?

MARC va vers la devanture et désigne le costume en question.

MARC
Celui-là.

LE VENDEUR se retourne vers MARC.

LE VENDEUR
Très bien, Monsieur.

MARC
Taille quarante-deux...en noir.

LE VENDEUR revient avec le costume.

LE VENDEUR
Vous voulez l'essayer…

MARC
Non merci, il me va.

Il désigne le costume qu'il porte, totalement identique à l’autre hormis la couleur.
LE VENDEUR acquiesce d'un air entendu. Il passe derrière la caisse enregistreuse.

LE VENDEUR
Alors...150 € monsieur s'il - vous plaît.

MARC sourit et pose la feuille sur le comptoir.

MARC
Parfait! J’ai l’appoint.




12. Appartement MARC. Intérieur soir.

MARC entre chez lui, et ouvre la porte du réfrigérateur.

MARC (murmurant)
La date n’est dépassée que depuis 8 jours.
Ça devrait aller.

Il ouvre le yaourt, le mange.

MARC se change et passe son costume neuf.




13. Maison Alain. Salon. Intérieur soir.

MARC est assis dans le fauteuil du chat, dans son beau costume neuf.
ALAIN est en face de lui.

ALAIN
Comment ça tondre la pelouse. Mais j'ai quelqu'un aussi pour ça Marc!
Et puis si tu as les moyens de t'acheter un nouveau costume tu les as aussi pour acheter à manger...

MARC ne répond pas.

ALAIN
Non non, il n'en est pas question.
Je me souviens que lorsque tu étais plus jeune tu refusais de laver les voitures de papa parce que tu trouvais ça dégradant... Et là tu viens, tu me supplies...
Tu es tombé bien bas Marc... bien bas.




14 . Appartement de Marc. Intérieur jour.

L'appartement est totalement vide. MARC est au milieu de la pièce. Il mange un yaourt les yeux perdus dans le vague.
Fondu au blanc.




15. Crématorium. Intérieur jour.

MARC est allongé sur une table, le corps recouvert d'un drap blanc.

ALAIN et LUCIE sont assis sur une chaise dans un coin de la pièce. Les deux garçons jouent à se poursuivre en courant autour du corps de MARC.

UN HOMME rentre.
L'HOMME va vers ALAIN et LUCIE. Il porte sous chaque bras les deux costumes de MARC.

L'HOMME
Lequel on lui met?

ALAIN
Je sais pas, le noir...Il est plus présentable...

LUCIE
Le noir, mais il est tout neuf!

Elle se tourne vers L'HOMME.

LUCIE
C'est vrai, il a à peine servi...

ALAIN
Va pour le gris alors...

LUCIE
Oui c'est très bien.
(à L'HOMME)
Il l'adorait, c'est bien simple il ne mettait que celui là...

L'HOMME (cherchant une approbation)
Alors le gris?

ALAIN
Oui le gris, c'est parfait. C'est parfait le gris, cette couleur lui allait si bien.

Fondu au noir.

FIN

 

 

Muriel Roland Darcourt

Scénario - Mon Frère - Le Costume

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