Une petite fille vient de naître et l’écrivain tente de décrire sa joie.

 
Un écrivain a-t-il envie d’être une entité obscure, remplie de souffrances et d’images fâcheusement torturées, a-t-il le souhait de se complaire au beau milieu d’un univers sinueux et risqué qu’il a créé, et de plonger dedans dans un constat amer que l’existence n’est pas à part lui ?

Un écrivain a-t-il une inclination toute particulière pour les choses et les êtres terrifiants, un goût immodéré pour le drame qui le tenaille du soir au matin avec le glauque espoir que la vie s’arrêtera après lui le lendemain ?

Un écrivain est-il un quidam ordinaire qui se meut en fêlé tantôt austère parfois simplement perturbé lorsqu’il prend la plume pour exprimer une douleur que personne ne connaît puisqu’il en est l’auteur, et qu’il noircit des pages de calamités et d’horreurs avec le but ultime d’en infliger aux autres parce qu’il est affligé ?

L’écrivain n’est pourtant pas un tortionnaire, une créature vile, pleine de rancœur, déversant sa bile fielleuse sur de pauvres innocents sursitaires afin de les réveiller pour leur dire dormez il vaut mieux. L’écrivain n’est pas un fer de lance ensanglanté qui de la pointe érudit les ignares de son savoir, et du pommeau place le poids des fautes sur leurs dos pour les maintenir plus bas que terre, plus bas que lui, en tuant la lumière pour s’approprier la nuit.

L’écrivain choisit des mots, c’est tout. L’écrivain se résume à un pauvre choisisseur de mots qui fait avec ce qu’on lui donne, avec ce qu’il y a, avec ce qu’il trouve, avec ce qu’il connaît déjà c’est-à-dire rien. Rien d’autre que la langue imposée, gonflée de codes experts et de lois séculaires. Un élémentaire faiseur de phrases éphémères, élimées à force d’être usitées, avec le nez en l’air, tout inspiré, et la main posée sur un dictionnaire.

Combien de mots pour décrire la tendresse ? Quelques uns, une poignée tout au plus.

Combien de mots pour décrire la détresse ? Des milliers, des centaines de milliers peut-être un peu plus.

Alors, quand le bonheur frappe à sa porte et qu’il veut dire sa joie, l’écrivain s’emploie à dépeindre le malheur, parce qu’il n’a que cela. En filigrane pourtant, il insuffle çà et là quelques rares enchantements pour révéler au lecteur qu’il est content, même si ça ne se voit pas.

Ou bien, dans un extrême sursaut, dans une arrogance exaltante et dans une fière affirmation, il fait ce qui lui chante, il fait fi du devoir, des règles, des conventions, et il invente.

Il prend une lettre au hasard, un «H». Un simple «H» qui peut devenir meurtrier s’il se féminise mais sur l’instant il n’y pense pas. Plante toxique, ou sigle signalétique qui fait frémir quand il est seul sur un panneau et qu’on ne s’y attend pas. Pervers lorsqu’il est asiatique ou mélodique quand il remplace un si, il est l’eau source de vie qui rassure quand les minutes s’égrènent à l’infini martelant tous les soixante temps le temps qui s’enfuit. L’écrivain, être pathétique lorsqu’il suit, glorieux quand il définit, s’enorgueillit de lui donner un autre sens. Le «H» devient amour, et puis c’est tout. Il ne faudrait pas tout expliquer quand-même.

Ensuite il choisit le «A», pour commencer, parce que le «H» bien que lourd de significations diverses est bien beau mais on ne l’entend pas. Il ne sert pas à rien non, il dit les choses mais secrètement, on ne le prononce pas, la raison de ce silence est un mystère qui ne se dévoile pas. Mais si le « H » est amour que reste t-il au «A» qui est censé débuter ce mot tel qu’il est utilisé d’habitude ? Annonce t-il la liberté sans Dieu ni Maître, l’égalité sur un terrain du grand Chelem de préférence à celui de l’équipe de France du ballon rond qui rebondit sur la fraternité que l’on a constatée cet été ? Assurément pas la meilleure note qui est attribuée à tout bon élève ou à celle d’une partition du genre à accorder sa guitare mais bel et bien à un hourra parce que le «A» on le distingue, lui.

Sur sa lancée, l’écrivain ajoute sur un «N» correspondant à l’ensemble des entiers naturels et pour être sûr d’avoir la totalité du «N» il en met deux par simple précaution, parce qu’il est naturel de vouloir rester entier quand on est tiraillé des deux côtés même quand ils forment un ensemble, c’est vrai quoi ! Mais comme l’écrivain va plus loin, toujours, parce que c’est son métier et qu’il se souvient que la première lettre du mot qu’il conçoit est inaudible il décide non seulement de rendre ce deuxième «N» inaudible, aussi, mais invisible de surcroît parce que la surenchère c’est également son métier. Le «N» restant désigne alors la fin d'une ligne dans un fichier texte sous Unix et le «N» après WiFi, la norme IEEE 802.11n de transmission sans fil que seul un père peut comprendre.

Pour ne pas embrouiller tout le monde avec ses histoires d’invisibilité volontaire, l’écrivain décide de revenir aux valeurs de bases afin ne pas engendrer la haine de ceux qui ne suivent pas, et de remettre un «A». Pourquoi ? Mais pourquoi pas ! A démontrer par A+B que ce choix est le bon en expliquant la pertinence de A à Z en référence à l'horizon  «A» correspondant à la partie supérieure de la couverture végétale naturelle. Attention naturelle mais pas entière parce que sinon ce «A»-là pourrait bien disparaître, tout comme le N qui le précède et qui est effacé. Trop de chemins sinueux sèment le doute alors que l’autoroute mène plus loin, l’écrivain choisit donc de prendre cette voie. La voix d’un nouveau-né se voit muer en gazouillements de grand format, le gazouillement sera le «A» et puis voilà.

Euréka, le mot est fait. De l’avis de l’écrivain qui trouve toute simplicité suspecte il faut conclure la chose en rajoutant une dernière lettre, et comme rien ne lui vient sur l’instant à l’esprit, il écrit «-» que seuls les naufragés comme lui entendront. Et qui se prononce «E», étrangement. En combinant les deux, tel un électron libre il obtient donc «E-» à ne surtout pas confondre avec «E-» sinon le courriel n’arriverait pas. Inutile alors de rajouter des additifs pour transcender ce «E» de manière exponentielle parce qu’on trouverait inévitablement 2,718281828.... (à peu près) et ça fait beaucoup. Alors, la signification de ce «E» pourrait logiquement être un Ahhh de bien-être évidemment, même si, heu, ce n’est pas forcément une excellente idée.

L’écrivain est satisfait, donc il pleure. Il réunit ses lettres en prenant le «A», le «N», l’autre il le laisse de côté, le deuxième «A» et le «E» à qui il octroie un accent grave, mais au son des cris répétés qu’il perçoit, il le change au profit d’un aigu. Oups, il a failli oublier le « H » qui ne sert à rien d’autre qu’à intriguer et il prononce à haute voix, en épelant méthodiquement : Amour, Hourra, ? X, Gazouillement, Ahh, et il trouve ça beau. Si.

L’écrivain est fier, donc il râle. Il vient d’inventer de toutes pièces un mot qui n’existait pas et qui apparaît comme ça, brusquement sur la planète, en bouleversant tout sur son passage tel un astéroïde nommé de toutes ces lettres, indépendamment les unes des autres, qui devrait se situer dans une large fourchette cosmique s’étalant du quinze mars au quinze avril mais qui arrive en décembre, le vingt précisément. L’écrivain est heureux, donc il gueule. Il se sert un verre de vin pour fêter l’évènement, répète au moins vingt fois le nom HANAE qu’il vient de créer qui le transporte d’un bonheur qu’il voudrait exprimer, en vain, car l’écrivain ne sait pas dire le ravissement. Il le ressent seulement.

 

Décembre 2010

 

 

Muriel Roland Darcourt

Lettre à Hanaé - Une petite fille vient de naître

Planète

 

 

 

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