Un jour, en pleine lumière, dans un moment d’hébétude extraordinaire, de foi profonde, de volonté d’aimer les Hommes, de leur faire comprendre qu’ils n’étaient pas toujours justes, que le monde tout entier était injuste et qu’il prenait la mauvaise voie, j’ai décidé, d’un commun accord avec moi-même, et sous la bienfaisance de Dieu sait quoi, de prendre sans médiation autre que celle de mon appel, un billet d’avion en partance pour la ville de lumière, trois fois sainte, la ville où toute la paix de l’existence devrait être résumée, la ville que Yahvé avait donné à son peuple et à toute sa descendance à savoir l’ensemble des habitants de la terre, la ville où le maître mot est « j’aime », Jérusalem.


Je voulais, en tant que martyre de la vie, proposer mon humble personne en sacrifice, sans que personne ne me demande rien. Je voulais arriver là-bas en sauveuse de conscience bien que la mienne soit un peu fêlée, me rendre en compagnie d’enfants, de plein d’enfants malades, de ceux qui donnent des leçons aux adultes parce qu’ils ont compris bien mieux qu’eux tout le sens de «joie de vivre», et me tenir devant le mur où les gens viennent chercher espoir et n’y font, finalement, que se lamenter sur leur propre sort, au lieu de le faire sur celui des autres.


J’avais l’intention, avec un enfant, main dans la main, et d’autres qui nous auraient suivi voire précédé, d’aller me planter devant ce fameux mur pour lequel tout le monde se bat, alors qu’il suffirait d’en construire d’autres, et de délivrer un message venu tout droit de mon fragile inconscient, aux mitraillettes qui défendent ce mur de ceux qui viennent y pleurer et qui n'ont pas les mêmes idées.


Je souhaitais dire, avec quelques phrases simples, qu’une guerre est inutile quand il s’agit de protéger des pierres, d’interdire de penser autrement, d’obliger des êtres humains au cœur tendre de devenir des cœurs de pierre et qui, à leur tour, emmureraient leur prochain plutôt que d’accepter que d’autres qu’eux qui ont conquis la muraille, un tas de caillasse symbolique qui n’a jamais sauvé quiconque de l’emprisonnement défectueux de leur âme humaine, ne s’en approchent pour simplement le toucher, en hommage à ce Dieu qui a cru en nous bien plus que l’on a cru en lui.


Je désirais crier, avec tous ces enfants, pour mettre en déroute ces hommes armés, en déroute individuelle et collective, leur demander de déguerpir plutôt que de salir ce lieu qui appartient à tous les croyants et les non-croyants de la planète en dérive. Les enfants auraient parlé de leurs souffrances qui font tourner la tête pour ne pas que les yeux voient le mal incurable qui les ronge, qu’on ne peut annihiler, et qui au lieu de rendre aux regards jetés l’allégresse de se sentir soi-même heureux d’être vaillant, met en lumière le défaillant que chaque homme porte en lui.


Ils auraient dit, à tous ces sots, des baïonnettes aux chars d’assaut, allez-vous en, partez loin d’ici non pas vers la terre qu’on vous a soi-disant promise mais vers celle où vous vous sentez bien, où vous vous sentez de faire le bien, en décidant de fondre vos armes pour bâtir un autel à la gloire de la paix enfin retrouvée.


Ce mur appartient à ceux qui le respectent, qui veulent le voir et le toucher pour y puiser réconfort, force et sérénité. Ce mur appartient à tous ceux qui l’aiment, à tous ceux qui s’aiment, dans le respect et la dignité. En mémoire de ce que l’on nous a donné de plus précieux inscrit dans notre esprit, la vie.


Je n’ai pas eu le courage d’y aller, mais je l’ai pensé. Les pensées mènent le monde paraît-il, la mienne n’a conduit personne là-bas, ni les enfants ni moi, n’a rien fait pour arrêter l’absurde ambiance qui règne en faisant naître l’assurance que tout devrait devenir beau. L’existence n’étant rien sans le beau. Alors, s’il-vous-plaît dite-leur ce que moi je n’ai pas eu la hardiesse de leur déclarer, que tout cela cesse, rendez à Jérusalem le pouvoir de faire ce pourquoi elle est née : aimer.

 

 

Muriel Roland Darcourt

Monologue - Lettre - Jérusalem

 

 

 

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Tag(s) : #Monologues, #Lettres

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